LeWonki-Forta et la Terre des Moins

« Charlie, à toi de décider, mon garçon, dit Mr. Wonka. C’est ton usine. Laissons-nous grand-maman Georgina attendre deux ans ou essayons-nous de la faire revenir maintenant ?

— Vous pouvez vraiment la faire revenir ? s’écria Charlie.

— On ne risque rien d’essayer… si c’est ce que tu veux.

— Oh, oui ! Bien sûr que je veux ! Surtout pour maman ! Vous voyez comme elle est triste ? »

Mrs. Bucket était assise sur le bord du grand lit, et elle se tamponnait les yeux avec un mouchoir.

 

 

« Ma pauvre vieille maman, disait-elle. Elle est âgée de moins deux ans ! Je ne la verrai plus pendant des mois et des mois… je ne la reverrai peut-être plus jamais ! »

Derrière elle, grand-papa Joe, aidé d’un Oompa-Loompa, donnait le biberon à son épouse de trois mois, Joséphine. A leur côté, Mr. Bucket enfournait une cuillerée de Bouillie Wonka dans la bouche de grand-papa Georges, et surtout sur son menton et sa poitrine.

« Flûte ! marmonnait-il furieux. Saleté de machin ! On m’a dit que j’allais passer du bon temps à la Chocolaterie et je me retrouve servant de maman à mon beau-papa ! »

« Tout marche bien, Charlie, dit Mr. Wonka qui surveillait la scène. Ils se débrouillent à merveille. On n’a plus besoin de nous. Viens avec moi. Nous partons chercher grand-maman ! »

Il prit Charlie par le bras et se dirigea en dansant jusqu’à la porte ouverte du Grand Ascenseur de Verre.

« Dépêche-toi, mon cher enfant, dépêche-toi, cria-t-il. Nous devons nous presser si nous voulons arriver avant !

— Avant quoi, Mr. Wonka ?

— Avant qu’on ne fasse la soustraction ! Tous les Moins résultent de soustractions. Tu ne connais pas l’arithmétique ? »

Maintenant, ils se trouvaient dans l’Ascenseur. Mr. Wonka chercha parmi les centaines de boutons celui qu’il fallait.

« Voilà ! » dit-il en posant délicatement son doigt sur un minuscule bouton en ivoire sur lequel était écrit : « Terre des Moins ».

Les portes se refermèrent en glissant. Et puis, avec des ronflements et des sifflements effrayants, la grande machine sauta sur la droite. Charlie saisit la jambe de Mr. Wonka et la serra de toutes ses forces. Mr. Wonka tira un strapontin du mur et dit :

« Assieds-toi vite, Charlie, et attache-toi ! Le voyage va être rude et agité ! »

Il y avait des courroies de chaque côté du siège et Charlie s’attacha solidement. Mr. Wonka tira un second siège et fit de même.

« Nous allons descendre très loin, dit-il. Oh, oui, très loin. »

 

L’Ascenseur gagnait de la vitesse. Il tanguait et faisait des embardées. Il se déporta brusquement sur la gauche, puis sur la droite, puis encore à gauche tout en descendant.

« Tout ce que je souhaite, dit Mr. Wonka, c’est que les Oompa-Loompas n’utilisent pas l’autre Ascenseur, aujourd’hui.

— Quel autre Ascenseur ? demanda Charlie.

— Celui qui va dans l’autre sens, sur la même voie.

— Sacrés serpems, Mr. Wonka ! Il pourrait nous rentrer dedans ?

— Jusqu’ici, j’ai eu de la chance, mon garçon… Hé ! Regarde au-dehors ! Vite ! »

A travers la vitre, Charlie aperçut la paroi rocheuse, brune et escarpée de ce qui lui sembla être une énorme carrière et, sur cette paroi, il y avait des centaines d’Oompa-Loompas qui travaillaient avec des pics et des foreuses mécaniques.

« Un rocher candi, dit Mr. Wonka. C’est la mine la plus riche de rochers candis du monde. »

L’Ascenseur filait.

« Nous nous enfonçons, Charlie. Nous nous enfonçons encore. Nous sommes déjà à environ deux cent mille pieds sous terre. »

D’étranges spectacles apparaissaient à l’extérieur, mais l’Ascenseur allait à une allure si effrayante que Charlie pouvait à peine les apercevoir. Une fois, il pensa voir au loin un groupe de maisons minuscules qui avaient la forme de tasses renversées, et, entre ces maisons, dans les rues, marchaient des Oompa-Loompas. Une autre fois, alors qu’ils passaient devant une sorte de vaste plaine rouge avec, semblait-il, des derricks de pétrole, il vit jaillir de terre un grand jet d’un liquide marron.

 

 

« Un gisement chocolatifère ! s’écria Mr. Wonka en battant des mains. Un colossal, un énorme gisement ! C’est splendide ! Juste au moment où nous en avions besoin !

— Un gisement chocoliqaoi ? demanda Charlie.

— Un gisement de chocolat, mon garçon ! Encore un champ chocolatifère ! Oh, quel magnifique jet ! Regarde-moi ça ! »

Tandis qu’ils continuaient à descendre des centaines de visions stupéfiantes (et ce n’est pas exagéré !) surgissaient à l’extérieur. Il y avait des roues dentées géantes qui tournaient, des mixers qui mixaient, des bouillons qui bouillonnaient, des vastes vergers d’arbres à pommes au caramel, des lacs de la taille de terrains de football remplis de liquides bleus, verts et dorés, et, partout, des Oompa-Loompas.

« Tu réalises, dit Mr. Wonka, que ce que tu as vu auparavant quand tu as visité l’usine avec ces vilains petits enfants n’était qu’un minuscule coin de la Chocolaterie. Elle descend sous terre sur des miles et des miles. Et dès que possible, nous en ferons le tour en prenant bien notre temps. Mais ça prendra trois semaines. Maintenant, il faut nous occuper d’autres choses. J’ai des nouvelles importantes à t’apprendre. Écoute-moi, Charlie. Je parle vite car nous arrivons dans deux minutes. Je suppose que tu as deviné ce qui est arrivé à ces Oompa-Loompas dans la Salle des Vérifications, lorsque j’ai essayé le Forti-Wonka. Bien sûr, tu as deviné. Ils ont disparu et sont devenus des Moins, comme ta grand-maman Georgina. La formule était beaucoup trop forte. L’un d’entre eux est même devenu un Moins quatre-vingt-sept ans. Tu imagines !

— Ça veut dire qu’il devra attendre quatre-vingt-sept ans avant de pouvoir revenir ? demanda Charlie.

— Voilà le hic, mon garçon. Après tout, on ne peut pas accepter que ses meilleurs amis attendent quatre-vingt-sept ans comme de misérables Moins.

— Et qu’ils soient soustraits, dit Charlie. Ce serait terrifiant.

— Bien sûr, Charlie. Aussi, qu’ai-je fait ? Willy Wonka, me suis-je dit, si tu peux inventer du Forti-Wonka pour rajeunir les gens, tu peux sûrement, Dieu merci, inventer autre chose pour les vieillir.

— Ah ! s’écria Charlie. Je vois où vous voulez en venir. Alors, vous changeriez les Moins en Plus et vous les ramèneriez à la Chocolaterie !

— Précisément, mon cher enfant, précisément, en supposant toujours, évidemment, que je puisse découvrir où sont allés les Moins ! »

 

L’Ascenseur plongeait, piquait vers le centre de la terre. Maintenant, au-dehors, tout était noir. On ne voyait plus rien.

« Une fois de plus, continua Mr. Wonka, je retroussais mes manches et me mis à l’ouvrage. Une fois de plus, je me raclais la cervelle, en quête d’une nouvelle formule. Je devais créer de l’âge… vieillir les gens… les rendre vieux, plus vieux, de plus en plus vieux… « Ah, ah ! m’écriais-je, car les idées commençaient à venir, quelle est la plus vieille chose au monde ? Qu’est-ce qui vit plus longtemps que tout le reste ? »

— Un arbre, dit Charlie.

— Exact, Charlie ! Mais quelle sorte d’arbre ? Ni le sapin Douglas, ni le chêne, ni le cèdre. Non, non, mon garçon. C’est un arbre qui s’appelle le pin bristlecone, qui pousse sur les côtes du Wheeler Peak, dans le Nevada, aux U.S.A. On en trouve qui ont plus de quatre mille ans ! C’est un fait, Charlie. Demande à n’importe quel arborichronologue (et fais-moi le plaisir de vérifier ce mot dans le dictionnaire, quand tu reviendras à la maison). Donc, cela me fit démarrer. Je bondis dans le Grand Ascenseur de Verre et filai de par le monde pour recueillir des spécimens des plus vieilles choses vivantes.

 

UNE PINTE DE SÈVE D’UN PIN BRISTLECONE DE 4000 ANS

DES ROGNURES D’ONGLES DE PIEDS D’UN FERMIER RUSSE DE 168 ANS NOMMÉ PETRO-VITCH GREGOROVITCH

UN ŒUF PONDU PAR UNE TORTUE DE 200 ANS APPARTENANT AU ROI DU TONGA

LA QUEUE D’UN CHEVAL D’ARABIE DE 51 ANS

LES MOUSTACHES D’UN CHAT DE 36 ANS NOMMÉ MABOUL

LA VIEILLE MOUCHE QUI A VÉCU PENDANT 36 ANS SUR MABOUL

LA QUEUE D’UN RAT GÉANT DU THIBET DE 207 ANS

LES CHICOTS D’UN MISTIGRI DE 97 ANS VIVANT DANS UNE GROTTE SUR LE MONT POPOCATEPETL

LES ARTICULATIONS D’UN CATTALOU DU PÉROU DE 700 ANS

 

J’ai dépisté de très très vieux animaux dans le monde entier, Charlie, et j’ai pris à chacun un important petit bout de quelque chose qui leur appartenait, un poil, un sourcil ou quelquefois même seulement une once ou deux de la confiture raclée entre ses orteils, pendant son sommeil. J’ai dépisté LE COCHON A SIFFLET, LE BOBOLINK, LE SKROCK, LE POLLYFROG, LE CURLICUE GÉANT, LE LINGOT PIQUANT, ET LE SQUERKLE VENIMEUX qui peut t’envoyer son venin dans l’œil à cinquante yards. Mais ce n’est pas le moment d’en parler, Charlie. J’ajoute qu’à la fin, après avoir fait mes ébullitions, mes bouillons, mes mélanges et mes tests dans la Salle des Inventions, j’ai fabriqué une toute petite cuillerée d’un liquide noir et visqueux et j’en ai donné quatre gouttes à un brave volontaire Oompa-Loompa de vingt ans, pour voir ce qui allait se passer.

— Que s’est-il passé ? demanda Charlie.

— Ce fut fantastique ! s’écria Mr. Wonka. Au moment où il l’avala, il se mit à se rider et à se ratatiner de partout. Ses cheveux commencèrent à se clairsemer, ses dents à tomber et, en un clin d’œil, il était devenu soudain un vieux de soixante-cinq ans. Et c’est ainsi, mon cher Charlie, que fut inventé le Wonki-Forta !

— Avez-vous sauvé tous les Oompa-Loompas au moins, Mr. Wonka ?

— Tous, mon garçon ! Cent trente et un en tout ! Attention, ce ne fut pas si facile que ça, ce fut compliqué et il y eut des tas de pépins… Mon Dieu ! Nous sommes presque arrivés ! J’arrête de parler, il faut que je voie où nous allons. »

Charlie réalisa que l’Ascenseur avait ralenti et faisait moins de bruit. On aurait dit qu’il flottait.

« Défais tes courroies, dit Mr. Wonka. Il faut se préparer à l’action. »

Charlie défit ses courroies et regarda au-dehors. C’était un spectacle à vous donner le frisson. Mr. Wonka et lui flottaient dans une lourde brume grise qui tourbillonnait et sifflait autour d’eux comme si elle était ballottée par les vents. Au loin, plus sombre, presque noire, elle semblait tournoyer avec plus de violence. Mr. Wonka fit coulisser les portes qui s’ouvrirent.

« Reste en arrière, dit-il. Ne tombe pas, quoi qu’il arrive, Charlie ! »

La brume pénétra dans l’Ascenseur. Elle avait une odeur âcre de renfermé, comme dans un vieux donjon souterrain. Le silence était écrasant. Il n’y avait pas le moindre son, ni le chuchotement du vent, ni la voix de quelque créature, ni le bruit d’un insecte. Au milieu de ce néant gris et inhumain, Charlie avait une impression étrange et effrayante, comme s’il se trouvait dans un autre monde où l’homme ne devait jamais pénétrer.

« La Terre des Moins ! chuchota Mr. Wonka. Nous y sommes, Charlie ! Maintenant, le problème, c’est de la trouver. Peut-être aurons-nous de la chance… et peut-être pas ! »

 

Charlie et le grand ascenseur de verre
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